takin' our demons to bed

01 Il était un divorce. Ouais, l'histoire est pas sensée commencer comme ça, mais on choisit pas toujours. Alors ton histoire, elle commence par tes parents qui se séparent, alors que t'as même pas trois ans. Autant dire que tes souvenirs d'eux ensemble, et heureux, sont assez limités. Voire totalement inexistants. Tu te rappelles que des weekends chez ton père, et des vacances scolaires passées dans son appartement trop petit pour vous deux. Lui qui pionçait sur le canapé, pour te laisser le lit. C'était pas la vie d'château, mais tu te souviens que t'aimais passer du temps avec lui. 02 Et puis ta mère a décidé de quitter Baltimore, du jour au lendemain, pour se barrer de l'autre coté du pays, en t'embarquant avec elle. Ton père avait tout juste de quoi payer ta pension, alors payer un billet d'avion pour venir te voir, ou pour te faire venir, c'était tout bonnement impossible. T'as eu du mal à l'comprendre, trop jeune encore à l'époque. Alors tu finissais la plupart de vos appels téléphoniques en pleurs, à le réclamer. Et puis t'as pas compris, mais les appels ont cessé. Encore une fois, t'étais paumé, sans savoir ce qu'il se passait. Et tu lui en a voulu, à ton père. 03 T'as vu les petits amis de ta mère défiler à la maison. Pour quelques semaines, ou quelques mois, mais jamais vraiment plus longtemps. Tous différents, mais tous pareils dans le fond. Et y en a jamais eu aucun qui n'en avait quelque chose à foutre de ta gueule, comme si t'étais qu'une ombre, qui se baladait dans l'appartement. Tout juste s'ils savaient ton prénom. T'as fini par t'habituer à cette valse sans fin, à cette impression de ne plus vraiment exister, même aux yeux de ta mère. 04 Alors si tu pouvais pas exister à la maison, t'as commencé à le faire à l'école. Cancre un peu trop énergique, on t'a jamais prédit un avenir brillant. Incapable d'écouter ce qu'on te disait, ou d'obéir, t'en as toujours fait qu'à ta tête. Gray, on t'a toujours considéré comme un crétin, alors que dans ton cerveau ça tournait juste trop vite pour que t'arrives à t'y retrouver. Et c'est toujours l'cas aujourd'hui, d'ailleurs. 05 Au lycée, ils ont essayé de te faire intégrer l'équipe de basket, parce que t'étais grand et incapable de rester tranquille plus de trente secondes. T'as refusé, t'y voyais pas l'intérêt. Tu préférais fumer derrière le buisson, avec les autres thugs du bahut. Et puis t'as été expulsé. Une fois. Deux fois. Trois fois. Pour violence la plupart du temps, parce que tu savais pas te contrôler et que tout pour toi était une agression. 06 T'aurais pu finir ta scolarité, si seulement le dernier mec en date de ta mère, était pas une pire ordure que les autres. Elle avait jamais su les choisir, toujours des déchets, toujours des pauvres merdes, mais jamais vraiment méchant. Sauf lui. Lui, c'était un connard violent. Et quand il a levé la main sur ta mère devant toi, t'as pas su te contenir. Tu lui as sauté dessus et vous vous êtes battus. C'est ta mère, qui en tentant de vous séparer, a reçu un de tes coups, qui t'as fait arrêter, sinon, tu l'aurais sûrement tué. Et t'aurais pensé qu'après ça, elle se serait débarrassé de ce type, mais non, elle l'a préféré à toi. T'as vécu ça comme une trahison. Foutu dehors à seize piges, t'avais nulle part où aller. 07 Avec une poignée de dollars dans la poche, un sac avec trois slips propres sur le dos, t'as pris le premier bus pour te ramener à Baltimore. Des jours passés à mal dormir sur les routes, à flipper aussi, t'es finalement arrivé à destination. Et puis t'as toqué à la porte de ton père, t'as débarqué comme une fleur dans sa vie, non annoncé, sans trop savoir ce qu'il était devenu. Il avait déménagé, son adresse trouvée sur internet, et t'avais aucune idée de qui tu trouverais derrière cette foutue porte. C'est une nana qui t'a ouvert, à qui t'as demandé pour voir Bob. Bob qui avait pas changé, mais tellement à la fois. Fuck. T'en as chialé quand tu l'as revu, à t'effondrer dans ses bras, comme un môme. 08 Tu t'es installé chez ton père, au milieu de sa nouvelle famille; sa copine de longue date et ses trois gamins. L'impression d'être la pièce rapportée dans cette famille déjà recomposée. La désagréable sensation d'être qu'un déchet, rongé par la dépression, qui t'a empêché de bouger des mois durant. Avant que t'arrives enfin à te relever, pousser par ton père qui t'a emmené avec lui sur les chantiers, où il bossait. Et c'est aussi avec lui que t'as découvert ta passion pour la musique. Ou plutôt, c'est avec lui, que t'as fait ta culture musicale. Et pour ton anniversaire, il t'a offert ta première batterie. 09 T'avais vingt-et-un ans quand il est mort. Un nouveau coup dur à encaisser. Un deuil que t'as eu de la peine à porter, quand ça faisait si peu de temps que tu l'avais récupéré dans ta vie. Et ton équilibre a explosé en plein vol, alors que tu venais à peine de le trouver. Ca a été rude, parce qu'il est parti du jour au lendemain, sans sommation, sans un avertissement. Rien. Une crise cardiaque en sortant de la salle de bain et les secours ont rien pu faire. Sans ton père, tu te sentais plus à ta place du tout chez lui. Sa copine t'a pourtant dit que tu pouvais rester, mais t'as pris encore une poignée de mois pour mettre de la thune de coté et puis t'es parti. 10 T'as continué de bosser sur les chantiers quelque temps, et puis t'as rencontré une fille. La fille. Première fois que t'as ressenti ça. C'était beau, c'était fort, et tellement naturel. Bordel, tu te serais damné pour ses grands yeux. Et t'as rien remarqué, t'as rien vu venir. T'étais persuadé que c'était la femme de ta vie, alors vous avez emménagé ensemble. T'as pas voulu écouter ceux qui te disaient de te méfier. T'as voulu y croire, si fort. Et c'est en regardant son téléphone alors qu'elle était sous la douche que t'es tombé sur les messages. Tu voulais juste le foutre sous silencieux le temps qu'elle sorte et t'es tombé nez à nez avec une bite, et c'était pas la tienne. Merde. 11 C'est comme ça que tu t'es retrouvé dans une barraque avec quatre autres coloc. A laisser traîner ton bordel partout, à emmerder le monde avec ta batterie, que t'as finalement descendu à la cave, pour éviter de finir égorgé durant ton sommeil. Mais t'es pas un mauvais bougre dans l'fond, Gray, t'as juste la maturité d'un préadolescent qui pense qu'à s'amuser.